Le Bazzart de Kalys

Fragment 3 – Antichrist Superstar

Quand j’avais quinze, seize ans, ma boutique préférée était un petit magasin de disques d’occasions qui possédait notamment l’immense qualité de vendre des quarante-cinq tours plus ou moins rares de Mylène Farmer, ainsi que tout un tas d’objets dérivés sans intérêt mais que je collectionnais avec ferveur.

À cette époque, mon père m’achetait mes livres, estimant qu’il s’agissait d’une part incompressible du budget. Je dépensais donc tout mon argent de poche en CD. Souvent, je n’avais pas d’idée précise de ce que je voulais, et je fouillais dans les bacs à la recherche d’une pochette qui m’attirerait. J’ai découvert le black metal de cette façon, à une époque où mes connaissances musicales se limitaient à la playlist des radios djeunz. Quelques mois plus tard, je faisais la connaissance de Marilyn Manson.

À ce moment-là, je cherchais principalement dans le minuscule rayon consacré au rock. J’étais devenue accro à Nirvana et j’achetais tout ce qui me tombait sous la main : cd, magazines, posters… De Nirvana, j’étais passée à Hole puis à Garbage. Maniaque mais curieuse, j’avais décidé de découvrir d’autres artistes dont j’avais très vaguement entendu le nom, et le vendeur de la boutique (qui s’appelait Rock ‘n’ BD, je m’en souviens maintenant) m’avait vu passer de Mylène aux Guns en un temps record.
Et donc, ce fameux jour, probablement calé entre les Misfits et Manowar, je trouve Antichrist Superstar.

C’est d’abord l’objet qui me fascine. La pochette malsaine mais indéniablement soignée, l’organisation des titres en trois cycles à la symbolique puissante, le nom bien sûr. Musicalement, c’est une claque. À l’époque, je n’avais encore jamais entendu Nine Inch Nails, et Antichrist Superstar m’a propulsée dans un univers bizarre, déformé, envahi de cris grinçants et de chuchotements morbides.

Mais ce sont les paroles qui m’ont le plus influencée. Le personnage créé par Brian Warner m’a littéralement fascinée, c’est d’ailleurs pourquoi j’ai d’abord trouvé les albums suivants moins intéressants (exception faite de Holy Wood). Dans Antichrist, Manson utilise une série de symboles qui m’étaient plus ou moins familiers, et qui sont devenus récurrents tant dans mes lectures que dans ma propre écriture : le ver, la chrysalide ; les lames du Tarot, le poison et la maladie.

Dans cet album, Marilyn Manson constate l’absence de transcendance et décide qu’il incarnera son propre dieu : quel adolescent normalement constitué n’y trouverait pas matière à réflexion ? Et c’est pourtant un disque d’une infinie tristesse. Peu importe que l’on se batte pour préserver un semblant de mysticisme. L’impossibilité de la sublimation recouvre toutes nos actions d’un suaire prématuré. Ainsi l’élévation spirituelle ne conduit-elle qu’à l’inévitable ensevelissement.

Pour une renaissance? Peut-être. Mais c’est sans importance. Le cercle est magique mais vicié. Après Antichrist, Manson a écrit Mechanical Animals. L’antéchrist n’est plus qu’une marionnette parmi d’autres, recherchant désespérément son humanité. Il était une fois un ange de destruction, qui devint une star.

Marilyn Manson, Antichrist Superstar, 1996, Interscope Records



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