Le dernier épisode de Chroma, que Karim Debbache et son équipe ont consacré à Silent Night, Deadly Night, ne m’a pas convaincue. La thèse exposée est la suivante : Silent Night, Deadly Night, bien qu’il possède certaines qualités, nuit au cinéma et au genre du slasher en particulier parce qu’il ne propose qu’une copie sans âme d’Halloween. Halloween (celui de Carpenter), s’inscrivait pleinement dans la carrière du réalisateur en suggérant une vision du mal cohérente, en adéquation avec celle qu’il avait développée dans ses autres films. Silent Night, en repompant les codes du slasher sans les comprendre, « annule la dimension structuraliste d’un film comme Halloween ».
Sceenshot depuis la vidéo de Karim Debbache : le tueur dans Silent Night, Deadly Night. Le pauvre a l’air méga-con.
Je ne sais pas si c’est à cause de l’ordre dans lequel Debbache présente ses arguments, mais je n’ai pas trouvé sa réflexion vraiment aboutie, quand bien même je suis d’accord avec sa conclusion. À mon avis, pour commencer, c’est sa définition du slasher qui pèche. Purement factuelle, il lui manque un volet personnel qui permette de comprendre les prises de position de son auteur : Karim Debbache avoue vouer une grande passion à ce genre, mais finalement, il ne dit pas pourquoi.
Je cite Debbache, en qui j’ai toute confiance (c’est, avec le Fossoyeur, mon maître à penser en la matière). Le slasher est un sous-genre américain du cinéma d’horreur. Il met en scène un groupe de personnages – souvent de jeunes adultes – pourchassés par un tueur en série – souvent masqué – qui va les éliminer les uns après les autres – souvent à l’arme blanche.
Pour l’instant, rien n’indique que le slasher possède (ou doive posséder) une quelconque dimension réflexive.
À la croisée de multiples influences (européennes), le slasher doit sans doute une partie de son succès à la fascination engendrée par les serial-killers (terme apparu dans les années 70).
Le slasher vit son âge d’or dans les années 80 et les tueurs qu’il met en scène deviennent aussi emblématiques, dans l’imaginaire américain, que l’étaient les monstres du cinéma d’horreur comme Dracula ou la créature de Frankenstein.
Black Christmas (1974), nous explique Debbache, est considéré par beaucoup comme le premier slasher, parce qu’il pose les bases du genre et qu’il est une source d’inspiration majeure pour Halloween. L’énorme succès rencontré par Halloween contribuera ensuite à la création des séries Vendredi 13 et Les griffes de la nuit, ainsi qu’à une pléthore d’autres films. Je cite : « toutes sortes de jeunes adultes massacrés par toutes sortes de tueurs […], une cascade d’hémoglobine, une course à l’hécatombe […], une surenchère d’effets gore […] »
Ce qui m’amène à une question : pourquoi, parmi la surabondance de slashers produits entre 74 et aujourd’hui, le courroux de Debbache s’abat-il sur Silent Night en particulier ?
Je pense qu’une partie de la réponse tient à l’amour que porte Debbache au film de John Carpenter.
Pour lui, la grande force d’Halloween, c’est qu’il met en scène un tueur masqué, dont on ne sait rien, ni de sa personnalité ni de ses motivations. Carpenter propose une vision « abstractivée » du mal, comme dans ses autres films. Le mal n’y est pas incarné par des gens. C’est plutôt un système ou un concept. De ce point de vue, Myers refléterait l’oppression sociale qui pèse sur ces filles.
Silent Night casserait complètement ce code en donnant une identité au tueur. Cela, dit-il, « annule la dimension structuraliste d’un film comme Halloween ». Et c’est là que ça m’emmerde.
Je veux bien croire qu’Halloween ait constitué un modèle pour le réalisateur de Silent Night (même si, dans l’extrait de son interview, il confesse ne rien connaître au genre du slasher mais ne cite pas pour autant de référence particulière). En ce sens, il serait légitime de juger le film à l’aune de son illustre précurseur. Le problème, c’est que si on pousse la réflexion jusqu’au bout, alors aucun slasher ne peut être envisagé pour lui-même puisqu’ils descendent tous d’Halloween.
À mon sens, le problème de cet épisode, c’est qu’il limite la définition du slasher à un exemple. Il est vrai que l’intérêt d’Halloween tient en grande partie à la figure de Michael Myers (enfin, à son absence de figure, devrais-je dire !)
Mais… Quid de Freddy Krueger ?
Freddy, c’est l’antithèse de Myers. Il est précisément caractérisé, tant physiquement (son visage brûlé, son pull à rayures, ses griffes évidemment) que mentalement (il est vulgaire, pervers, caustique). Il se délecte dans la mise en scène de ses meurtres, qui font preuve d’un certain raffinement cauchemardesque, si je puis dire. Et il œuvre, d’ailleurs, dans les rêves, même si la mort de ses victimes est bien réelle.
Quid de Chucky, que je classerais bien dans le genre vu que le but de la poupée est de massacrer des gens à la pelle ?
Quid de Destination finale, qui correspond en tous points à la définition… sauf que le tueur est une entité abstraite ?
Et s’il faut parler d’Halloween… Quid du Michael Myers de Rob Zombie ? Qu’en pense Debbache ? Le film mérite-t-il la potence pour avoir pris le contre-pied de l’œuvre originale en dévoilant l’enfance du héros ?
Je n’affirme pas que tous ces films sont bien des slashers : je n’en sais rien. Mais justement, je pense qu’ils auraient dû être abordés, afin d’expliciter le propos.
(sérieux, il est trop bon, ce jeu de mot ^^)
Toutes ces raisons font que je ne comprends pas la critique adressée à l’encontre de Silent Night. Le film m’a semblé, au vu des extraits, prodigieusement mauvais, mais cela tient à son scénario stupide et incohérent, pas à ses partis-pris. Dans l’interview que Debbache nous fait entendre, le réalisateur affirme qu’il a réalisé le film pour un public d’adolescents, sans rien connaître au genre et sans avoir voulu, d’ailleurs, creuser la question. N’est-ce pas le cas de dizaines, de centaines d’autres slashers ?
Bien sûr, j’en ai marre moi aussi qu’on me prenne pour une conne, qu’on me serve les mêmes films sans âme, encore et encore. Mais même dans sa conclusion, Debbache fait preuve de mauvaise foi (je trouve).
Afin d’illustrer l’idée selon laquelle la copie de la copie de la copie n’a aucun intérêt, il s’intéresse à… Silent Night 2. Alors oui, le film reprend éhontément le scénario et les plans du 1. Oui… Mais cet épisode de Chroma ciblait le 1. Le 2 est un autre film, il ne peut servir ni de preuve ni d’illustration, sauf si l’épisode avait été consacré au genre du slasher et ses dérives dans son ensemble.
Oui, effectivement, il saute un peu vite à la conclusion (j’ai dû revoir la fin de l’épisode pour me rappeler).
Après, je pense qu’il prend surtout Halloween en exemple pour expliquer certains des codes fondateurs du genre et pouvoir faire le parallèle avec son film qui utilise les codes comme s’ils étaient sortis du manuel, sans en retirer leur substance.
Le caractère inhumain du tueur, masqué ou non, est quand même quelque chose qu’on retrouve dans la majorité des slashers. La majorité n’a pas vraiment de background (pas « d’explications » quant à leur nature de tueur), ce qui colle je pense à la définition que veut donner Karim Debbache. (Freddy était un tueur avant de mourir, tout comme Chucky, mais c’est tout ce qu’on sait d’eux. Leatherface ou la famille de dégénéré de La colline à des yeux sont quasi des monstres, etc.).
Après, comme toi, je ne le rejoins pas forcément sur sa conclusion. Et j’ai tiqué aussi sur sa présentation de Silent Night 2 à la fin (même si je pense que c’était plus par boutade qu’autre chose).
Sinon, moi aussi, Karim Debbache et Le Fossoyeur sont mes 2 amis-cinémas de l’internet :)
Hum, t’as pas tort (t’as vu, j’ai appris à l’écrire ;)) : Silent Night utilise les codes « comme s’ils étaient sortis du manuel ». Mais je reste persuadée que des dizaines de films sont coupables du même péché (qui a vu le remake de La maison de cire, avec Paris Hilton ?)
Tous tes exemples sont parfaitement justes, donc ça va être difficile pour moi d’argumenter. Simplement, malgré ces similitudes entre les tueurs, je trouve que les « grands » films du genre présentent des monstres très différents, et je doute que la vision du mal de Wes Craven ait grand chose à voir avec celle de Carpenter, du coup, je trouve la définition de Debbache un poil restrictive.
Mais je me répète. Ça m’a frappée parce qu’au premier visionnage, j’ai beaucoup aimé cet épisode de Chroma, parce qu’il traite d’un sujet qui me passionne. C’est en en discutant que je me suis rendu compte qu’il était relativement incohérent, de mon point de vue.
Tu cites La colline a des yeux… Je n’ai vu que le remake d’Alexandre Aja, que j’ai trouvé trèèèèès mauvais, à peu près pour les raisons évoquées par Karim Debbache. Doit-on vraiment trouver du sens au slasher ? Je me demande si la question ne mérite pas d’être posée.
Pour ma part je tique à chaque fois que j’entends qualifier Freddy de « slasher », mais je n’arrive pas à dire si c’est parce que je trouve trop restrictif, ou si c’est parce que j’ai des préjugés sur les slahers (ce qui n’est pas impossible).
J’avais noté un autre truc dans l’épisode : Debbache dit que la théorie selon laquelle les slashers ont une tendance moralisatrice (les jeunes gens se faisant massacrer après le sexe) est fausse, parce que les films possèdent bien cette dimension érotique censée être jugée. Pour moi, ça n’est pas suffisant. Ça s’appelle de l’hypocrisie, c’est un truc hyper courant chez les bons croyants. Je dis ça parce que ça m’a souvent marquée, ce côté, que moi, je trouve bel et bien moralisateur. Vous en pensez quoi ?
À vrai dire, je n’y avais jamais pensé. C’est un reproche qui a également été adressé à It follows, parce que la malédiction se transmettait par le sexe, et je n’avais pas été très convaincue par l’argument ; mais c’est peut-être parce que je suis trop gentille et que je ne fais pas les liens qu’il faudrait ? De mon point de vue, si tous ces jeunes gens dans les slashers sont tués après avoir baisé, c’est juste parce que les slashers sont généralement des films racoleurs destinés aux ados et à leurs hormones. Je ne suis pas sûre qu’il faille y voir un quelconque message.
Justement, pour moi It Follows parle plutôt de la diabolisation du sexe et des conséquences de ce fait sur les jeunes : une légende urbaine se crée parce que les jeunes sont effrayés et culpabilisés par une société répressive au niveau de la sexualité.
Enfin, je veux dire, les US c’est quand même le pays où il existe des anneaux de chasteté et où personne n’a entendu parler de la pilule… Je crois que le contexte culturel est différent d’ici et qu’il faut le prendre en compte pour la lecture des slashers, un genre qui me semble très ancré dans cette culture.
Hum, tu n’as pas tort, et je n’avais pas envisagé la question sous cet angle (parce que d’après les critiques que j’avais lues, on reprochait à It follows la même chose qu’aux slashers. La manière dont tu vois ça me paraît plus pertinente.)
Après, je continue de penser que les slashers sont juste bêtement racoleurs. Non que le contexte n’ait pas son importance – et tu as raison de souligner qu’en matière de sexe, les Ricains sont très bizarres. Mais il me semble que c’est aussi un pays très libre d’un point de vue culturel, et aussi très contradictoire (c’est quand même un des plus gros producteurs de porno).
Et si on part de la définition de Debbache et si on admet avec lui que le genre doit tout à Halloween… Alors la plupart des slashers dénonceraient eux aussi l’oppression qui pèse sur les jeunes, métaphoriquement parlant.
Quant à Freddy, j’ai oublié de relever quand je t’ai répondu, mais pourquoi cela te fait-il tiquer ?